TIRÉ DE L'ANTICAPITALISTE N°543</p>
Malade, l’auteur écossais Philipp Kerr, décédé en 2018, avait eu le temps de remettre à son éditeur plusieurs manuscrits dont l’Offrande grecque, qui est la dernière enquête de Bernie Gunther post Seconde Guerre mondiale1. Bernie Gunther est un brillant flic de Berlin, social-démocrate, qui démissionne de la police lors du triomphe du nazisme. Son tort est de ne pas avoir quitté l’Allemagne.</br> Installé comme détective privé, les nazis sauront le retrouver pour profiter de ses qualités d’enquêteur, Heydrich en particulier. La guerre finie, c’est la Stasi et le général Mielke qui voudront en faire de même. Gunther parviendra à se débarrasser de la Stasi et à regagner l’Allemagne de l’Ouest sous une fausse identité. L’Offrande grecque débute à ce moment, en 1957, dans une Allemagne de l’Ouest revue et corrigée par l’impérialisme américain.</p>
Acte I : Munich, nid de la corruption américano-nazie</p>
Bernie Günther se retrouve donc en 1957 à Munich sous le nom d’emprunt de Christof Ganz. Il vivote, avec un emploi à la morgue de l’hôpital, lorsqu’un officier de police le reconnaît. Ce dernier, ancien nazi corrompu, l’entraine sous la contrainte dans une sombre affaire de corruption de parti politique par la Stasi avec magot et crime à la clef. Le policier espère faire porter le chapeau à Bernie. </br>Celui-ci, méfiant, réussit à se sortir du piège. Il récupère l’argent et le remet à l’avocat véreux, Max Merten, qui veut apparemment financer une aile encore plus droitière de la CDU d’Adenauer, le président de la RFA. Pour le remercier, l’avocat fait embaucher Bernie comme enquêteur pour les assurances « Munich Re ». Un poste tranquille, bien payé, qui lui permet d’exercer son esprit aiguisé de flic. Après de premiers succès, le patron de la compagnie, le sinistre M. Alzheimer, envoie Bernie à Athènes pour vérifier dans quelles conditions un bateau très bien assuré a pu sombrer en mer Égée.</p>
Acte II : Athènes, nid d’espions</p>
« La ville [Le Pirée] ne possédait plus aucun monument important, grâce aux Spartiates qui avaient détruit les fortifications d’origine et aux Romains qui avaient détruit quasiment tout le reste. Voilà ce qui est réconfortant dans l’histoire : vous découvrez que les coupables ne sont pas toujours les Allemands. »</br>
En fait, la Grèce a été dévastée par le conflit et l’occupation allemande puis par la guerre civile contre la résistance « communiste ». Le pays compte plus de 400 000 victimes et ses communautés juives ont été presque entièrement exterminées dans la Shoah. L’économie et les infrastructures sont en ruine et l’Allemagne qui fait le forcing pour construire la CEE refuse de payer pour ses crimes de guerre.</br>
Ces trois éléments sont importants pour comprendre l’intrigue que va tenter de démêler Bernie Gunther. En bref, le bateau qui a été « exproprié » à un armateur juif de Salonique, en 1943, ne procédait pas à d’innocentes recherches d’antiquités mais bien à la recherche d’une fraction des lingots nazis fabriqués avec les biens des 60 000 Juifs exterminés de Salonique.</br> L’assassinat du capitaine grec du bateau et d’un avocat convainc Gunther d’être à nouveau sur la piste de nazis. Un responsable policier d’Athènes, pas encore viré par le gouvernement très à droite de Karamanlis, en est convaincu et veut contraindre Bernie à travailler pour lui. Une trop belle jeune avocate grecque aussi ainsi que le Mossad israélien qui entre en jeu et utilise de moyens très coercitifs pour demander à Bernie la même chose. On ne peut raconter ici les péripéties, la réapparition de l’avocat véreux Max Merten et le dénouement mais, une fois de plus, le thriller est mené de main de maître.</p>
Philippe Kerr, un trotskiste « caché » ?</p>
Philippe Kerr profite toujours de ses incursions dans l’Histoire pour la nettoyer. Il ne manque pas de rappeler les méthodes de Staline pour effacer Trotski de l’histoire. Dans ce roman, il règle surtout ses comptes, sur la base d’une documentation en béton, avec Adenauer et les Américains grand recycleur de nazis. Avec cette Offrande grecque, il nous plonge dans l’occupation allemande en Grèce puis dans l’après. On comprend un peu mieux pourquoi l’Allemagne n’a jamais honoré sa dette envers le peuple grec. La corruption du gouvernement Karamanlis était telle que seule importait de lutter contre la « subversion » de gauche et d’empocher les « pots de vin » des Anglais et des Américains.</br>
Un thriller passionnant, une bonne dose d’humour cynique et une petite leçon d’histoire éclairée. Que demander de plus ?</br>Sylvain Chardon
</p>édition : novembre 2020