Aujourd'hui, la guerre soi-disant menée contre le chômage se transforme en une guerre contre le chômeur. Ce dernier condense, en effet, tout un ensemble d'indignités sociales et politiques qui en font une figure peu fréquentable et peu respectable. Le chômage « volontaire », les « trappes à chômage », la « violence » des chômeurs, leur tentation électorale vers le FN sont quelques-uns de ces stigmates sociaux et politiques qu'entretient, à son plus grand profit, le néolibéralisme. Pourtant tous ces lieux communs sont empiriquement réfutables à la seule lumière des travaux menés en sciences sociales.
Par ailleurs, si chômage et démocratie sont deux termes très souvent mis en relation, c'est pour poser la question sous l'angle unique des effets : quels effets sociaux et politiques, le chômage exerce sur la démocratie ? Or, si on renverse les termes de la question initiale, « qu'est-ce que la démocratie fait, ou doit faire, des chômeurs ? », on retrouve l'origine du chômage en tant que réforme sociale visant, dans la toute fin du XIXe siècle, à arracher les chômeurs à une « dangereuse » pauvreté. Cette réforme, parce qu'elle concevait à l'origine le chômage comme un risque d'existence (au même titre que la vieillesse ou la maladie), appelait des réponses autant collectives que politiques. Elle visait à accorder une véritable protection aux chômeurs et cherchait autant à les prémunir contre la précarité matérielle qu'à leur assurer une dignité sociale : le chômeur était alors considéré comme la victime, nécessairement involontaire, d'un aléa économique et non plus désigné comme le seul responsable d'une situation coupable. Le rappel des origines et du sens de cette réforme n'en devient que plus urgent devant la virulence grandissante des attaques dont le chômeur est la cible.
Emmanuel Pierru est sociologue, chargé de recherche au CNRS (CERAPS à Lille), membre de l'association Raisons d'Agir.
223 pages
Edition : 2005