DVD/Livre : Maurice Nadeau, entretiens et films

Prix
25,00 €

La Quinzaine littéraire fêtera, cette année, ses 40 ans. Un livre multimédia intitulé Maurice Nadeau : entretiens "Une histoire personnelle et mouvementée de la littérature permet de retracer le parcours exeptionnel du directeur de cette prestigieuse revue. Les éditions Maurice Nadeau, de leur côté, font paraître son Journal en public (20 euros).
Sommaire

* Le militant
* De la pâmoison

« Ce passeur et découvreur de talents est mon père », nous avertit d’entrée de jeu la voix off, alors que la caméra suit la progression de Maurice Nadeau dans la cage d’escalier d’un immeuble. Littérature et Révolution, film réalisé par Gilles Nadeau, qui a également choisi les textes du recueil qui l’accompagne, publiés par son géniteur dans le célèbre périodique. Le portrait de Maurice Nadeau, lecteur infatigable et pédagogue hors pair, nous permet, entre autres, de croiser, à travers ses souvenirs et grâce au montage de documents d’archives, nombre de grandes figures du monde des lettres du XXe siècle, mais aussi de penseurs... comme Léon Trotsky.

Dès la fin des années 1920, alors qu’il est étudiant à l’École normale de Saint-Cloud, Nadeau découvre la politique. Assez rapidement, il lit les œuvres de l’exilé qu’il achète à la librairie de l’Humanité tenue par Paul Nizan... et rejoint le groupe trotskyste dirigé par Pierre Naville. Militer à cette époque n’est pas une sinécure. Lorsque ce camarade lui demande de se rendre à une réunion, le jeune homme lui explique que c’est impossible parce qu’il se marie... le dirigeant lui rappelle alors qu’on ne convole pas toute une journée ! Et Nadeau de commenter : « C’était le bon sens même. » En résumé, l’attitude vraie que devait avoir un militant.
Sommaire Le militant

Fort heureusement, Marthe, son épouse, partage ses idées. Ce couple d’enseignants paye de sa personne en s’engageant durablement : tracter à la porte des usines, affronter les staliniens... 1936 marque cependant une rupture, le trotskysme se développe. C’est à ce moment que Nadeau collabore avec André Breton à la revue Clé, qui dénonçait l’internement en France des républicains espagnols dans le contexte de la montée de la guerre. Bientôt, Nadeau est mobilisé. Sous l’occupation nazie, il reprend l’enseignement ainsi que ses activités politiques clandestines. Il rencontre Sartre et écrit une Histoire du Surréalisme qui paraît après la Libération. Il échappe à la déportation grâce à l’épouse de David Rousset. En 1945, il entre à Combat, journal issu de la Résistance que dirige Camus, grâce à son rédacteur en chef Pascal Pia, qui lui confie la rubrique littéraire hebdomadaire. Il ressent très vite comme une mission de faire connaître des auteurs comme Bataille, Char, Michaux, qui ne jouissaient pas de la même notoriété que Sartre, Camus et Ionesco, sans compter Sade qu’il entreprend d’éditer car ses œuvres circulaient sous le manteau.

Ce même journal prendra d’ailleurs, au grand étonnement de son public, la défense de Céline, exilé à Copenhague alors qu’il est accusé de collaboration. « Un écrivain a le droit de tout dire, même s’il écrit des saloperies », affirme toujours Nadeau même s’il confesse qu’il plaide contre lui-même. Au début des années 1950, il dirige la revue Les Lettres Nouvelles, pour l’éditeur Julliard. Viendra ensuite le temps où, directeur de collections chez de grands éditeurs, il se forgera une réputation qui dépassera vite les limites de l’Hexagone.

Son Journal en public, dont le titre s’inspire du Diario in pubblico d’Elio Vittorini, rend probablement davantage compte de l’activité littéraire et des engagements de cet homme pétri d’humanité, dont la probité intellectuelle ne cesse d’étonner page après page. Il s’agit d’une « chronique du temps qui passe, avare ou prodigue d’événements méritant d’être commentés » qu’il tient depuis bientôt dix ans dans La Quinzaine littéraire. Cet admirateur de Flaubert et de Baudelaire avoue volontiers que, parfois, confronté « à la marée d’automne » (entendez la rentrée littéraire), il déserte les contemporains pour se jeter dans « l’ancien, dans le ringard, dans le scolaire, bref dans les Caractères ».
Sommaire De la pâmoison

Le patriarche des lettres se pâme pour la phrase de La Bruyère « qui [ le ] fait bander » avec « ses formes justement corsetées, son allure assurée qui se change en pas de charge ou finit en envol surprenant [...] ». Monsieur Nadeau prend son pied autrement que Catherine Millet... dont l’ouvrage, La Vie sexuelle de Catherine M., relève, pour lui, du « manuel comme on en vendait autrefois pour les apprentis tonneliers ou bricoleurs et qui ne donne pas plus envie de rire qu’il ne souffre la plaisanterie ». L’homme qui fit découvrir George Perec, Leonardo Sciascia, Malcolm Lowry et bien d’autres, pour qui avoir un livre de chevet n’a pas de sens puisque sa « vie [ est ] de lecteur, principalement, de critique à l’occasion », cultive bien entendu l’amitié. Ainsi, c’est avec tendresse qu’il évoque son ami Claudio Magris, dont l’écriture le ravit. C’est encore lui qu’il interpelle au sujet des jeunes écrivains qui ne semblent écrire « que pour se venger » et penser « qu’à tuer papa-maman ». Quelle délectation ! Ce journaliste et éditeur, qui signe en pleine guerre d’Algérie le Manifeste des 121, publie aux éditions du Pavois Les Jours de notre mort de David Rousset dès son retour des camps, lit Rouge (salue au passage le travail d’Enzo Traverso ou loue le talent de Paul Louis Thirard), suit avec attention la production de Daniel Bensaïd, écoute les écrivains puisque « c’est [ son ] métier, écouter », les « met sur pied » mais ne « tient pas à les garder »... Une chose est certaine : l’individu est un travailleur acharné, un « héros du travail », comme se plaisait à l’écrire Michel Leiris.

Pour achever de vous en convaincre, plongez dans l’univers de Maurice Nadeau en gardant à l’esprit l’injonction de La Bruyère : « Ayez les choses de la première main ; puisez à la source ; maniez, remaniez le texte. »
BARBACCI Christine
* Paru dans Rouge n° 2166 du 6 juillet 2006.