DVD + Livre : Alsthom, le dos au mur, mémoire d'une lutte

Prix
25,00 €

Tiré du site de la revue : "Mouvement Social" :

Depuis plus de deux ans, l’association Périphérie et les archives départementales de la Seine-Saint-Saint se sont engagées de conserve dans une passionnante initiative portée par Tanguy Perron. Elles proposent périodiquement à un public où se côtoient cinéphiles, militants, chercheurs et étudiants de réfléchir aux interactions qui se sont nouées entre telle lutte ouvrière des années soixante-dix et les images cinématographiques dont elle a fourni l’occasion, films pour certains montés et diffusés en salles, pour d’autres restés cantonnés aux réseaux militants et pour d’autres encore demeurés à l’état de rushes. Ces images, souvent inédites ou presque constituent une source précieuse que les chercheurs ont trop rarement l’occasion de pouvoir aisément consulter. Elles n’ont souvent pu être tournées qu’à la faveur d’un investissement militant tant des cinéastes que des grévistes, au prix parfois de certains risques, et, pour certaines, se sont affirmées pour une arme dans la grève (ou ses suites), dotée d’une autonomie. Les approches critiques et les témoignages de chercheurs, de cinéastes et de militants invités par Tanguy Perron donnent lieu chaque fois à de passionnants échanges à l’occasion desquels s’estompent ou disparaissent les clivages initiaux entre la tribune et la salle. Qui a participé à ce qui relève d’un atelier en sort chaque fois passionné et plus riche, mais quelque peu frustré dès lors que presque aussitôt confronté à la volatilité des images et des apports qui ont surgi dans les débats (enregistrés, il est vrai, par les bons soins des Archives de la Seine-Saint-Denis).

La collection « Histoire d’un film, mémoire d’une lutte » inaugurée par le livre-dvd Le dos au Mur devrait mettre un terme à ce sentiment de frustration et donner à cette initiative le retentissement et les prolongements qu’elle mérite. Le film qui en constitue le cœur est un film qui fut tourné en 1979 par Jean-Pierre Thorn, ancien établi redevenu cinéaste, dans l’usine Alsthom de Saint-Ouen, occupée, et dans laquelle il avait fait ses armes militantes dans l’immédiat après-1968. Le film est prolongé par plusieurs compléments inédits tournés pour cette publication dont un entretien avec Jean-Pierre Thorn réalisé par Tanguy Perron et l’analyse d’une de ses séquences par Alain Nahum, opérateur et cinéaste. Il est également accompagné par un ouvrage de 128 pages réalisé par Tanguy Perron associé à Nicolas Hatzfeld et Michel Pigenet qu’illustrent de nombreuses photographies dont certaines, inédites, de Chris Marker.

L’ouvrage apporte de précieux éléments indispensables à la compréhension de la grève de 1979 en présentant à cette occasion un tableau percutant de la banlieue rouge et de sa culture, cultures du travail, de lutte et politique, en cette fin des années 1970 qui vont marquer son inexorable déclin. Il revient sur les conditions de la rencontre entre techniciens, cinéaste et ouvriers. Mais il constitue encore et peut être surtout la précieuse esquisse de cette histoire du cinéma militant qui pour être aujourd’hui mieux connue (notamment grâce à Tanguy Perron) reste du moins encore à écrire. Tanguy Perron nous en livre là de précieux jalons. Il revient brièvement sur ces temps où le cinéma militant était organiquement lié au mouvement ouvrier, puis évoque les décrochages qui s’opèrent dans les années cinquante avec l’affirmation d’un petit cinéma militant anticolonial aux cotés, mais en marge du cinéma du PCF. Le déphasage sociologique qui doit aux transformations de la classe ouvrière et à l’affaiblissement des secteurs (mines, métallurgie, dockers…) avec lesquels le parti communiste et la CGT s’étaient confondus et le déphasage cinématographique s’accentuent à la veille de 1968. La conférence d’Argenteuil sur la culture met le parti communiste en porte-à-faux vis à vis de jeunes artistes militants qui souhaitent le retour à un art militant engagé (comme il advînt des surréalistes sous le Front populaire). La distanciation s’amorce en 1968 puis s’approfondit. Le cinéma militant devient clairement « un truc de gauchistes » où les maoïstes occupent la part belle et des collectifs de cinéastes se substituent aux organisations militantes des années 1930 ou des années 1950. Avant que le désenchantement ne provoque des détachements individuels, mais tout aussi bien un renouvellement documentaire (dont les effets demeurent à ce jour perceptibles). Le cinéma militant devient le prolongement de ce que la télévision permet alors, mais que l’État interdit, à la diffusion. À partir de certains reportages de télévision des années 1960 et du cinéma militant qui s’éveille en 1967 et 1968, il devient possible techniquement, mais aussi idéologiquement, de donner la parole au peuple. Le souci de capter et de restituer la parole ouvrière se substitue aux objectifs de propagande longtemps prévalents.

On a là une réalisation dont il faut souligner la très haute qualité formelle qui autorise le dialogue. Dialogue entre disciplines, entre adversaires idéologiques de naguère, entre professionnels de la recherche ou du cinéma et militants, qui met à la disposition de tous les instruments de la réflexion, qui sait historiciser sans sacrifier les images, aborder le collectif sans oublier le sujet, comme attesté par ces témoignages pudiques et sensibles qui jalonnent l’ouvrage. Il s’agit d’une évidente contribution très novatrice dans sa forme et son propos à l’histoire de 1968 qui risque de nous valoir bien des publications redondantes aux acquis et d’un apport à l’histoire de ces années tournant que furent les années 1970.

On ne peut dès lors que souhaiter vivement que cette publication ait une suite qui permettra de faire connaître à un public élargi et composite les apports du travail que poursuivent Périphérie et les archives départementales
Danielle Tartakowsky