Théoricien de l'utopie concrète et du prophétisme révolutionnaire, Bloch s'est aussi proclamé marxiste. Mais l'est-il encore vraiment ? Certes, il prend au pied de la lettre la consigne de Marx pour qui la philosophie ne doit pas seulement interpréter mais aussi changer le monde. Toutefois l'enjeu profond de son oeuvre est son opposition au matérialisme vulgaire, au marxisme mécaniste et à l'impuissance politique qui en découle.
Bloch se propose de réhabiliter l'imaginaire et le sentiment dont il souligne l'effet dynamisant. C'est l'oubli de l'idéal socialiste qui a mué celui-ci en son contraire: le totalitarisme.
Quelle que soit la classe à laquelle il appartient, l'individu acquiert une fonction primordiale en tant que contradiction humaine purement et simplement : celle figurée par Prométhée, l'homme qui se crée soi-même, par Job, l'instigateur de la révolte contre toute forme de despotisme, par Moïse, « l'inventeur de la catégorie de l'Exode », par le Christ qui prêche l'Apocalypse et veut « faire toute chose nouvelle », par Faust enfin à qui il importe fondamentalement d'extraire la quintessence (l'or) de ce qui se trouve dispersé et dégradé sous tant de formes (le plomb) dans le monde.
Ce tome III, consacré à l' « Identité », sanctionne l'inadéquation de la raison technique en situant sa vérité plus loin et plus haut : vers ce qui se nommait jadis Royaume de Dieu ou Souverain Bien. Pour Bloch, ce chrétien athée, le facteur humain subversif, à la recherche de son soi et de son Chez-soi (Heimat), transcendera donc mais sans plus aucune transcendance.
C'est d'une part le franchissement de frontières sous toutes ses formes, et de l'autre l'échec par excellence, la mort, cet « ultime fiasco », que Bloch analyse dans cette cinquième et dernière partie où il passe en revue :
- les différents paradigmes, souvent contradictoires, de l'existence de bon aloi; - les prototypes du franchissement de frontières abstrait ou au contraire médiatisé ; - la musique, le plus utopique de tous les arts, ce « partout et nulle part » où
l'homme pressent la révélation de son incognito;
- la mort enfin, la riposte la plus dure qui soit à l'utopie; Bloch s'interroge ici sur les rêves de l'Espérance en une victoire sur la mort, qui se déploient dans l'art et surtout dans la religion.
Le dernier chapitre réaffirme que le dépassement de l'inadéquation et la quête du « Foyer » (Heimat), ce lieu de l'identité avec soi-même et avec les choses, sont aussi une tâche politique.
564 pages
Edition : 1991