Péan : La république des mallettes, enquête sur la principauté française de non-droit

Prix
32,00 €
ARTICLE D'ARIANNE CHEMIN TIRè DU SITE "lemonde.fr" "Nicolas, fais attention, dans ton entourage, il y a des gens pas nets et dangereux. J'ai trop de retours sur Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri." L'avertissement au président de la République, Nicolas Sarkozy, date du printemps 2010. Celui qui le met en garde s'appelle Hervé Morin. Le ministre de la défense avait été alerté par de vieux routiers de l'armement sur la présence, au sommet de l'Etat, de ces deux hommes d'affaires - ils refusent qu'on les nomme intermédiaires d'armement. La scène, confirmée au Monde par Hervé Morin, est rapportée dans le nouveau livre de Pierre Péan, La République des mallettes (Fayard, parution le 14 septembre). Un livre essentiellement consacré au mystérieux Alexandre Djouhri, rival de l'intermédiaire libanais Ziad Takieddine cité, en marge de l'affaire de Karachi, comme chargé entre 1993 et 1995 des contrats Sawari II et Agosta. La justice soupçonne un financement illégal de la campagne des balladuriens lors de l'élection présidentielle de 1995, grâce aux rétrocommissions versées en marge de ces contrats. Hormis Libération (qui le fait sortir de l'ombre, dès 2006), Le Nouvel Observateur et le site Bakchich, la presse ne s'est guère intéressée avant ces derniers mois à ce richissime personnage né en 1959, domicilié en Suisse mais pilier du Bristol, ce palace parisien proche de la Place Beauvau. L'influence de ce "prince de l'ombre", dixit Pierre Péan auprès du pouvoir sarkozyste - après l'avoir été dans la Chiraquie et la Villepinie - est pourtant immense. L'homme cultive la discrétion comme un art. Cet ami intime de Claude Guéant, du patron du contre-espionnage français, Bernard Squarcini, de l'ex-patron de Veolia devenu celui d'EDF, Henri Proglio, et enfin de l'ancien premier ministre Dominique de Villepin, a compris qu'il tirait de son silence et de ses secrets l'essentiel de son pouvoir. Pendant dix-huit mois, Pierre Péan s'est lancé dans ce monde interlope des grands contrats et des porteurs de valises, aujourd'hui remplacées par des virements sur des comptes offshore. Non sans mal, reconnaît-il : "Je n'ai pas honte de dire que je suis loin d'avoir mis au jour tous les ressorts qui permettraient d'expliquer le pouvoir de Djouhri (...) J'ai en tout cas fait chou blanc sur des points essentiels." Le refus de ses sources d'être citées - à l'exception de Ziad Takieddine et de Robert Bourgi, le "Monsieur Afrique" de la droite - ne l'a pas empêché d'approcher le monde des "réseaux tangentiels", formule célèbre depuis l'affaire Clearstream. Une "bataille sauvage que se livrent deux clans de la droite pour se constituer un trésor de guerre en vue de (...) 2 007", analyse Péan qui revisite l'affaire en novice assumé. Au passage, il renonce à sa fascination pour Villepin, avouant qu'il "a longtemps été séduit comme un papillon par la lumière". "Il ne me semble pas absurde, conformément aux soupçons de Nicolas Sarkozy, d'envisager un possible rôle de Djouhri dans la machination (Clearstream)",écrit-il. Avant que l'homme d'affaires, pour sauver sa peau, ne rallie le président. M. Péan apporte pour preuve de sa thèse des propos présidentiels inédits, également validés par M. Morin. En janvier 2008, dans un Airbus présidentiel, Nicolas Sarkozy évoque devant son sherpa Jean-David Levitte l'affaire dans laquelle il s'est porté partie civile deux ans plus tôt et qui, rétrospectivement, continue de lui donner des sueurs froides. A propos du rôle de M. Djouhri dans l'affaire Clearstream, M. Sarkozy aurait dit : "S'il n'était pas venu à Canossa, il aurait reçu une balle entre les deux yeux." L'aveu, selon M. Péan, que l'homme d'affaires a abandonné les chiraquiens et travaille désormais pour les sarkozystes. Comment ? Péan croit savoir que Djouhri aurait "réglé les modalités financières du divorce" du président avec Cécilia, son ex-épouse. C'est aussi à la lumière du chagrin d'amour du chef de l'Etat qu'il revisite l'affaire de la libération des infirmières bulgares, en juillet 2007. Djouhri, assure-t-il, aurait été un acteur de premier plan de cet épisode, d'abord en suggérant l'intervention dans le dossier de Cécilia ex-Sarkozy, puis en montant l'opération avec le directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi, le Libyen Béchir Salah. Le tout, bien que l'affaire fût quasi réglée : la rançon pour la libération des infirmières avait déjà été versée. L'intervention intempestive de Djouhri aurait fait "monter les enchères". D'après Péan, le Qatar serait alors intervenu pour payer la lourde addition. Il assure aussi que, dans l'affaire de l'Angolagate, Djouhri aurait obtenu entre "45 et 50 millions de dollars" du président angolais Dos Santos. Le prix des négociations à mener avec l'Elysée et la Place Vendôme afin que l'homme d'affaires Pierre Falcone, poursuivi pour des ventes d'armes, ne retourne en prison. En vain. Le journaliste affirme enfin qu'il y a quelques mois celui qui était alors secrétaire général de l'Elysée, M. Guéant, serait intervenu au profit de son ami, en exigeant le versement, par le groupe européen de défense et d'aéronautique EADS, de 12,8 millions d'euros de commissions sur un contrat de vente d'Airbus à la Libye, alors que Djouhri n'aurait joué aucun rôle. Dans Le Point du 8 septembre, EADS fait savoir qu'il "ignore complètement de quoi M. Péan veut parler". "Jamais (...) je ne me suis occupé de commissions", a de son côté indiqué le ministre de l'intérieur à l'hebdomadaire. "C'est un livre de fantasmes" a, pour sa part fait savoir M. de Villepin, vendredi 9 septembre sur RTL. Pierre Péan aura-t-il les preuves de ce qu'il avance ? Car l'intérêt et la nouveauté de son ouvrage, c'est de tenter de raconter, en temps réel, l'influence de ces fameux "intermédiaires", que l'on découvre en général avec retard, lorsque explosent des affaires, ou après des élections. Et c'est aussi de montrer qu'Alexandre Djouhri ne ressemble pas à ses illustres prédécesseurs : Akram Ojjeh, Samir Traboulsi ou même Ziad Takieddine, qui ne se mêlaient guère de choix politiques ou de stratégie industrielle. Pour Pierre Péan, "Monsieur Alexandre" serait au contraire intervenu dans les dossiers EDF et Areva. Lors d'un déjeuner au George-V avec Henri Proglio, en juin 2004, il lui aurait lancé : "Tais-toi. Tu es le soldat, je suis le général." Ariane Chemin 485 pages........;édition : septembre 2011