Ngo Van, qui a été un militant trotskiste de Cochinchine (actuel Sud Vietnam), est né en 1913 dans un petit hameau près de Saigon et se définit lui-même comme un survivant : « Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger » pensait Blaise Pascal. A considérer l'actuelle République dite socialiste du Viêt-nam et son histoire officielle, acceptée partout quasiment sans esprit critique, je ne peux lire cette maxime sans ressentir à quel point je suis un survivant. Son livre rend aussi hommage au lutteur infatigable, Nguyên an Ninh, qui créa en 1923, le journal anticolonialiste, La Cloché fêlée, titre emprunté à un poème de Baudelaire.
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De cette génération de jeunes militants qui se rangèrent sous le drapeau de la 4ème Internationale, au début des années 30, il est aujourd'hui parmi l'un des rares survivants qui témoigne avec force et détermination de ce que fut le combat indissociable de ses camarades contre le pouvoir colonial et pour l'émancipation sociale de millions de coolies et de paysans. Le courage aussi de se battre contre les mensonges de la propagande stalinienne, celle du parti communiste indochinois et de son dirigeant Hô chi Minh. Cet acharnement viscéral à rétablir la vérité tout en défendant une politique d'indépendance du prolétariat et de la paysannerie pauvre, contre tout compromis avec le pouvoir colonial et les nationalistes bourgeois ou staliniens, les partisans de l'Opposition de Gauche dans l'Indochine coloniale l'ont souvent payé au prix de leur vie. Contraints à la clandestinité, régulièrement arrêtés et torturés dans les sinistres locaux de la Sûreté de Saigon ou morts au bagne de Poulo Condore, ce furent des combattants révolutionnaires pris entre deux feux, victimes de la double terreur coloniale et stalinienne.</br>
Dans un précédent ouvrage (paru en 1995 et réédité l'an dernier chez Nautilus), Viêt-Nam 1920-1945, révolution et contre-révolution sous la domination coloniale, Ngo Van avait déjà rétabli bien des points de la vérité historique en restituant dans un extraordinaire tableau, la période qui s'ouvre au début des années 20 avec le retour au pays des vieux leaders nationalistes. L'éveil de la jeunesse annamite aux idées de Rousseau et dont les plus lucides se jettent à bras ouverts dans le combat contre l'oppression sociale et nationale. C'est de ces jeunes étudiants, de ces « retour de France » après leur rencontre décisive à Paris avec les militants proches de Trotski, les Rosmer, Naville, Franck ou Guérin, que sera issu le groupe de l'Opposition de gauche communiste indochinois. Face au pouvoir colonial, ces militants font bloc avec les staliniens autour du journal La lutte de 1933 à 1937. L'influence des staliniens s'est ancrée dans la paysannerie tandis que le monde des coolies et des ouvriers des centres urbains est gagné aux idées révolutionnaires de la 4ème Internationale. Ces militants seront pour la plupart exterminés en 1945 par les sicaires aux ordres de Ho chi Minh. L'histoire officielle a tenté de les faire disparaître de la mémoire collective. Ils revivent ici mais aussi au Viêt-Nam où le petit peuple ne les a jamais oubliés.</br>
Il faut lire ces deux ouvrages parce qu'ils sont indissociables, parce qu'ils nous touchent au cœur par leur profonde humanité et leur souci de vérité. Ils nous communiquent un peu de leur énergie, de la force de se battre contre toutes les oppressions. Ce sont des ouvrages irremplaçables, témoignage émouvant écrit par un survivant pour lutter contre l'oubli et son pendant, le mensonge, le parti-état et sa falsification stalinienne de l'Histoire, pour le communisme !</br>
Le 15 février 2001, article publié dans Rouge n°1915.</p>
240 pages
édition : novembre 2000