Citron : Le mythe national

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La bataille de la mémoire, les enjeux de l’histoire coloniale sont significatifs d’une crise de l’identité nationale dans son rapport au passé. Mais les mémoires meurtries de l’esclavage, de la colonisation ou de l’immigration ne guériront pas par l’inversion simpliste de l’histoire qui ferait de l’héritage victimaire le mythe fondateur d’une identité de groupe. Ces mémoires pourraient se pacifier si les grands mythes de « l’histoire de France » cristallisée en vulgate dans les manuels primaires de la IIIe puis de la IVe République, socle de marbre de l’identité nationale durant des décennies, étaient eux aussi reconnus et démystifiés. Le dévoilement progressif ou médiatique de faits occultés ? rôle de Vichy dans la déportation des juifs, tortures en Algérie, face française de la traite et de l’esclavage des Noirs ? a déjà conduit à des révisions, notamment de l’histoire du XXe siècle.</p> Mais c’est le récit national « des origines à nos jours », mis en perspective au XIXe siècle, qui serait à reconsidérer. Ce récit s’est construit autour des deux repères fondateurs de l’identité nationale. En amont, l’origine ? la Gaule, matrice immémoriale de la France, entité mythique, qui n’a jamais eu historiquement d’assise géopolitique. En aval, l’acmé ? la Révolution, bloc intangible qui a fait de la France une nation guide. </p>Entre ces deux repères, les historiens libéraux puis républicains ont déployé un processus finaliste qui intègre sans état d’âme à l’histoire « nationale » les deux dynasties franques et leurs empires, célèbre les Capétiens comme « rassembleurs » des terres, pour finalement entériner l’exécution de Louis Capet dans le sillage des révolutionnaires. Les guerres et les conquêtes du pouvoir capétien dessinent la géographie d’une France pré-existante en filigrane. Les conquêtes obéissent à une logique de la nécessité, les vaincus et leurs résistances sont hors champ historique. Le passé multiséculaire des peuples et des espaces successivement annexés passe à la trappe. Leurs spécificités culturelles et politiques sont des non-objets.</p> Parallèlement, une culture pour les élites s’est développée dans la langue du roi à partir du XVIe siècle, et Rivarol, au XVIIIe siècle, vante l’universalité du français diffusé dans les cours européennes. Cette culture francophone est celle de la grande majorité des députés révolutionnaires éduqués dans les collèges royaux. Une fois la république une et indivisible proclamée, les conventionnels ont le projet ? que réalisera la IIIe République ? d’imposer l’usage exclusif de la langue française devenue celle de la liberté, les autres langues n’étant qu’idiomes ou patois méprisés. </p>De surcroît, l’exaltation passionnelle de la Révolution par ses acteurs, puis par ses héritiers, suscite la conviction d’un statut ontologiquement exceptionnel du peuple français. Le peuple français, assure Robespierre le 18 floréal an II, semble avoir devancé de deux mille ans le reste de l’espèce humaine ; on serait tenté même de le regarder, au milieu d’elle, comme une espèce différente. Michelet, dans le Peuple (1846), confirmera la transcendance d’une France supérieure comme dogme et comme légende (...). Toute autre histoire est mutilée, écrit-il, la nôtre seule est complète, avec elle vous savez le monde. Meurtris par la défaite de 1871, ancrés dans l’imaginaire d’une France messianique et dans le mythe de l’origine gauloise qui assure à la nation prédestination et assise « ethnique », les dirigeants de la IIIe République n’ont pas les outils pour reconnaître l’Autre dans le fait colonial : l’Autre, dans l’historiographie sous-jacente à leur culture, n’existe que comme l’ennemi à vaincre ou le brave plouc à franciser. Le grand débat français qui permettrait une distanciation critique des stéréotypes hérités du XIXe siècle verra-t-il enfin le jour ? Le temps serait-il enfin venu d’une histoire nationale inscrite dans l’histoire humaine, une histoire plurielle et commune, polyphonique et mélodique, dans laquelle chaque Française et chaque Français se connaîtraient comme Sujet du passé et se reconnaîtraient citoyens d’aujourd’hui ? 350 pages <:P>édition : poche avril 2017