Ils étaient quelques milliers quand ils s'organisèrent en opposition au sein du PC de l'URSS, en 1923. On en fusillait à la mitrailleuse des milliers encore en 1937 et 1938, dans les prisons puis les camps ; des jeunes gens avaient remplacé les vieux bolcheviks assassinés. On les appela « oppositionnels », « bolcheviks léninistes », « trotskystes », noms qu'ils n'avaient pas choisis mais qu'ils acceptèrent par défi.
Ils ont lutté pendant quinze ans, sans jamais s'avouer battus. Exclus du parti, chassés de leur travail, exilés, « déportés ». Vieilles prisons, isolateurs, camps ont entendu leurs débats et leurs chants ; ils défendaient l'idée lumineuse d'un communisme fraternel contre la brutalité et l'inculture staliniennes.
À la fin, il ne restait que quelques anciens, le gros était formé de jeunes. En 1932, ils ont rallié autour d'eux tous les autres opposants communistes. Il ne restait plus à Staline qu'à les massacrer jusqu'au dernier dans des camps spéciaux consciemment copiés sur le modèle hitlérien.
Cette histoire n'est pas celle d'une lutte politique comme les autres, car il ne fait pas de doute qu'il y a eu des bourreaux et des victimes, et que rien n'autorise l'historien à les renvoyer dos à dos. Méthodiquement étudié comme c'est le cas ici, cet aspect de la terreur stalinienne conduit à revoir l'histoire de l'URSS telle qu'on l'a écrite depuis plus de cinquante ans.
Né en 1926, docteur ès lettres, Pierre Broué a été professeur d'histoire contemporaine à l'Institut d'études politiques de Grenoble. Spécialiste du mouvement communiste, il est notamment l'auteur de La Révolution et la guerre d'Espagne (en coll. avec Étienne Téynime, 1961), La Révolution allemande (1971), d'une monumentale biographie de Trotsky (Fayard, 1988), de Staline et la Révolution. Le cas espagnol (Fayard, 1993), de Rakovsky ou la Révolution dans tous les pays (Fayard, 1996) et d'une Histoire de l'Internationale communiste, 1919-1943 (Fayard, 1997).
439 pages
Edition : 2003